De la limite au voisinage, de l’isolement à l’expérience partagée, Marie Beauvois propose un petit « voyage étymologique en confinement », pour mettre des mots sur le caractère inédit de la situation que nous avons vécue.
12 semaines de confinement. Confinés sur instances gouvernementales. Situation inédite.
Certes, il y avait bien ces faux témoignages « à la manière de », que l’on crut retrouver : lettre de Madame de Sévigné à sa fille pour lui raconter la vie à Versailles pendant une épidémie de peste ; témoignage d’Aldous Huxley sur la privation de liberté. Mais non, notre situation en 2020 était bien inédite.
Un vocabulaire nouveau
A contexte extraordinaire, vocabulaire extraordinaire aussi. C’est ainsi que sont passés dans le langage courant des presque néologismes comme réunion « en présentiel » ou « en distanciel », « geste barrière » ou « distanciation physique », confinement et déconfinement. Autant de mots nouveaux pour exprimer cette nouvelle vie de confinés.
Jusqu’alors, le confinement était réservé à des domaines précis, techniques : peine de confinement dans le domaine juridique, pour isoler un personnage considéré comme dangereux, air confiné et confinement d’un explosif ou d’une matière radioactive. Il désignait aussi une manière de mettre à l’écart ou à l’abri une population en cas de danger, c’est ce que nous avons donc vécu.
Avec le Covid-19, le confinement est devenu un terme courant : une quarantaine – ou une plus que quinzaine –, afin de nous isoler du danger du virus, pour nous protéger de la menace, pour nous mettre à l’abri entre nos murs.
Une étymologie latine
C’est le latin, bien sûr, comme souvent, qu’il faut interroger pour comprendre ce que sous-tend ce mot de confinement. Et, pour ces paysans soldats que sont les Romains, dès l’origine, la racine du mot est à la fois agricole et militaire. On souhaiterait trouver quelque chose qui ressemblerait à confinamentum, mais cela n’existe pas ! En revanche, si nous scrutons le fameux dictionnaire Gaffiot (que l’on peut aussi consulter en ligne !), nous trouvons plusieurs mots de la même famille. Confinalis veut dire « limitrophe » et les confinales sont « les voisins » ; confine signifie « le voisinage » ; confinis veut dire « contigu » lorsqu’il est adjectif, et « voisin » quand c’est un nom commun ; confinium désigne la limite commune entre deux champs ou deux territoires, mais aussi le voisinage, la proximité. Toute cette énumération nous montre donc que notre « confinement » se rapporte à cette frontière commune qui nous sépare du voisin, aux « confins » d’un territoire, aux limites d’un champ.
Afin d’approfondir encore cette étymologie, nous pouvons revenir à la formation même du mot : cum, « avec », qui, en tant que préfixe, indique que l’action mobilise tout l’être et est commune à tous ; et finis, mot masculin qui signifie « la borne » fichée en terre qui délimite ma propriété, « la limite » (de mon champ), « la frontière » (de mon territoire).
Donc, la langue latine insistait surtout sur le caractère commun de la limite, sur cette ligne de contact avec les voisins, sur ce qui faisait le lien entre deux territoires.
Glissement de sens
Avec le temps, a été reconnue de façon exclusive la notion d’enfermement à l’intérieur des frontières. Le terme n’a été pris que comme synonyme d’isolement.
De fait, lorsqu’il nous a été demandé de nous confiner, pour nous mettre à l’abri du Covid-19, nous nous sommes repliés dans nos maisons, entre nos bornes.
12 semaines de confinement
Les premiers jours de ce temps inédit ont été une rupture. Souvent anxiogènes, ils nous ont appris à vivre avec l’incertitude voire la peur, à prendre nos marques et à organiser notre vie autrement, avec un rythme nouveau. Les nouvelles de la télévision, d’internet et des réseaux sociaux n’arrivaient que pour augmenter le stress et nous avons dû maîtriser notre temps d’information pour ne pas être submergés par les mauvaises nouvelles.
Puis ce fut le temps de l’habitude, de la routine bien huilée, dans laquelle tous les jours se ressemblaient. Il a fallu alors apprendre à vivre avec les nôtres, à supporter la promiscuité, à partager le temps entre les différents membres de la famille, à faire la part entre télétravail et vie personnelle. Le Carême s’est achevé par une Semaine Sainte et une fête de Pâques confinées, vécues de l’intérieur de façon toute personnelle, les yeux rivés sur un écran comme tout contact avec le peuple chrétien. Chaque soir à 20h retentissaient les applaudissements et les trompettes du voisinage pour saluer les efforts des personnels soignants.
Enfin, il nous a été annoncé que nous serions bientôt « déconfinés », sans connaître date ni modalités, et l’incertitude a repris. Les articles sur le monde d’après ont fleuri, optimistes ou pessimistes.
Un isolement obligatoire
Le confinement nous a révélé nos limites plus profondes, intellectuelles, voire spirituelles. Et souvent, il fut l’occasion de dépasser ces bornes, ces fins, ces frontières, pour nous mettre à des activités auxquelles nous n’aurions pas pensé. Apprentissage d’une langue nouvelle, lecture des piles de livres que nous ne trouvions jamais le temps de commencer, jardinage, essais de cuisine, et j’en passe. Il fut aussi un temps inouï de découverte familiale pendant de longs jours : discussions sans fin, puzzles familiaux, jeux de société, inventions en tout genre.
Le confinement nous a enfermés dans les limites imposées de notre cadre de vie. Les contacts au-delà de nos maisons ont été ceux de nos écrans, virtuels ou téléphoniques. Après un temps pour souffler, la nécessité des relations s’est imposée à tous.
Reclus dans des limites physiques, nous avons compris notre nécessaire « être au monde ». Car « l’homme est un animal social », disait Aristote, fait non pour vivre seul et replié sur lui, sans contact, mais pour vivre dans la société. Le confinement a permis à l’esprit de dépasser ces frontières imposées, de se libérer, de s’ouvrir.
Pour beaucoup d’entre nous, ce confinement a été le révélateur de ce qu’est la vraie liberté, sans témoin, dans le silence, expérience de la liberté intérieure qui nous évade des carcans imposés. Il nous a invité à percevoir que nos limites sont celles des autres, que nos frontières sont cette ligne de contact avec autrui, et que, de l’autre côté de la ligne, il y a quelqu’un qui vit la même chose que nous.
Ainsi, après avoir tous expérimenté ce confinement, nous avons, de nous-mêmes, retrouvé le sens premier des mots latins pour nous tourner vers les autres et faire que les limites intérieures soient dépassées au profit de la limite commune, point de contact avec autrui.