Peut-on éduquer par le cinéma ?
Tout éducateur est conscient que lui-même et les enfants dont il a la charge sont environnés d’images dont l’objectif est de les manipuler à des fins commerciales ou idéologiques. De ce fait, il faut éduquer d’abord non PAR l’image mais A l’image, en apprenant à décrypter les intentions du producteur pour éveiller l’esprit critique de celui qui regarde. Ceci est valable pour l’image fixe (publicité, photos ou dessins de presse, etc) aussi bien que pour l’image mobile (spots publicitaires et cinéma)
Cela étant posé brièvement, intéressons-nous précisément au cinéma. Inutile de rappeler à quel point il peut être un outil de propagande et combien il faut prévenir nos enfants de son danger potentiel. Mais le cinéma est d’abord et avant tout un art, et à ce titre il peut nous élever, aux deux sens du terme, de trois façons.
Tourner le public vers le beau
L’art a pour rôle de nous faire grandir, d’élever notre âme, et même osons le dire, de nous mener à Dieu. Le cinéma, lorsqu’il répond à cette vocation, est un canal extraordinaire. Chacun a expérimenté l’effet sur lui-même d’un vrai beau film, que ce soit par la photographie sublime de la nature (The Tree of life de Terence Mallick), le jeu poétique de la caméra (Eternité de Tran Anh Hung), la langue châtiée (Mademoiselle de Jonquières, d’Emmanuel Mouret), la mise en scène d’un autre art (Soleil de Nuit de Taylor Hackford sur la danse, ou encore Vers la lumière de Naomi Kawase sur la photographie), les fastes d’un milieu (Le Guépard de Luchino Visconti) ou même tout simplement l’immense talent d’un acteur. Ces éléments, puisqu’ils élèvent notre esprit et dilatent notre cœur, nous mettent en condition pour nous rapprocher de Dieu. Le cinéma peut ainsi être une aide à l’éducation spirituelle.
Parler de l’homme
Par ailleurs, comme tout art, le cinéma parle de l’homme. La fiction (qu’elle soit littéraire ou cinématographique), bien que paraissant éloignée du réel, en est un reflet et peut beaucoup nous apprendre sur nous-mêmes. En observant les travers de certains personnages, on peut y retrouver les nôtres et, partant les corriger. Dans Un Homme pressé Hervé Mimran met en scène un quinquagénaire qui s’est jeté dans son travail au mépris de sa famille et de sa santé. Une bonne leçon pour notre société débordée. Plus parlant pour les enfants, Donne-moi des ailes de Nicolas Vanier évoque un adolescent en crise qui retrouve l’affection pour son père à travers une aventure commune.
Bien entendu le cinéma ne cible pas que les défauts de l’homme, il exalte également sa grandeur. C’est alors par l’exemplarité qu’il nous éduquera. On peut penser à Vivre ! chef d’œuvre d’Akira Kurosawa où le héros, modeste fonctionnaire municipal sur le point de mourir, décide de passer ses dernières heures à faire le bien autour de lui. Un peu la Petite Thérèse du Japon, en somme.
Susciter la réflexion
Enfin le cinéma a ses propres techniques et il est passionnant d’essayer, exactement comme en analyse littéraire, de comprendre le sens de cette « grammaire » des films. D’une part cela force le spectateur à regarder et non voir, c’est-à-dire à se mettre dans une posture active. D’autre part cela lui permet de déceler les intentions de l’auteur. Par exemple si dans 1917 Sam Mendes met en place un seul et unique plan-séquence (du moins en apparence) c’est bien pour que le spectateur se sente totalement immergé dans les tranchées à la suite des deux soldats et aille jusqu’à ressentir le vertige de leur course effrénée. Il est intéressant pour le spectateur avisé de comprendre d’où vient la sensation nauséeuse qui le traverse tout le long du film. Pour rester dans les films de guerre, on peut également penser à la Liste de Schindler où Steven Spielberg fait régulièrement un travelling sur une petite fille esseulée dans la foule, porteuse d’un manteau rouge alors que le film est en noir et blanc. Façon de dire que les enfants sont les premiers martyrs de cette deuxième guerre. Dans Albatros de Xavier Beauvois, c’est la musique sacrée qui permet de dramatiser efficacement la situation du héros : le Stabat Mater Dolorosa de Pergolèse et le Requiem de Fauré bouleversent le spectateur. A l’opposé de cela les frères Dardenne ont pour coutume de ne mettre aucune bande-son dans leurs films de façon à illustrer la pauvreté et l’austérité dans lesquelles leurs personnages évoluent. On pourrait citer à l’envi les procédés qui permettent au cinéaste de toucher son public mais aussi de lui faire passer des messages. Il est crucial d’être conscient que rien n’est gratuit à l’écran et que le réalisateur nous emmène là où il souhaite grâce à la technique. A nous de rester libres de le suivre ou pas.
Le cinéma peut sembler d’abord un lieu de détente. Il l’est, bien sûr. Mais il est également un biais extraordinaire pour ouvrir nos yeux et ceux de nos enfants sur la beauté artistique et sur les réalités du monde. Aux adultes, donc, de s’emparer de ce merveilleux outil pour grandir et aider les enfants dont ils ont la charge à en faire autant. Quoi de plus excitant qu’une séance de cinéma en famille ? Profitons-en !
Sabine de La Moissonnière
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Sabine de La Moissonnière anime au Collège des Bernardins un ciné-club mensuel ouvert à tous à partir de 14 ans. Inscriptions en ligne pour chaque séance ou possibilité d’acheter son entrée sur place (4 euros pour les mineurs, 8 euros pour les adultes). De 17h à 20h (introduction, projection du film puis débat dirigé par le professeur). C’est l’occasion d’une passionnante activité parents-adolescents.
Prochaines dates :
18 novembre : Ce qui nous lie
16 décembre : Sur les quais. (exceptionnellement ouvert dès 13 ans)